Silent Requiem avait quitté les siens après une pluie diluvienne qui avait menacé de faire fondre l'ancien glacier. Fort heureusement, il n'y avait quasiment pas eu de dégât et toute la meute était désormais en sécurité dans la tanière, à attendre que le mauvais temps ne laisse place à quelque chose d'un peu plus clément. Elle pourtant, qui avait du mal à rester en place, avait laissé les autres aux bons soins d'Evangeline pour partir s'aventurer jusqu'à la jetée dans l'espoir d'y trouver quelques poissons intrépides qui auraient eu la faiblesse d'esprit de s'aventurer jusqu'au bord de l'eau et qui se retrouveraient désormais coincés sur la terre ferme. Il s'agissait là de proies faciles et elle ne tireraient aucune gloire de ce genre de chasse, pourtant, ces poissons étaient nécessaires à la survie des siens et elle se faisait un devoir d'en ramener quelques uns.

Alors, maintenant qu'elle était arrivée, le pelage gonflé par l'humidité et les oreilles plaquées à l'arrière de son crâne pour résister au vent intrépide qui refusait de se calmer, elle furetait, deçà delà, à la recherche de sa première proie de la journée. Fort heureusement, elle en trouva une bien rapidement ; un petit poisson, apparemment téméraire et qui s'agitait encore au bord de l'eau. Sans vraiment avoir de scrupules, elle l'acheva et décida de le ramener. Mais ce n'était pas suffisant et comme elle avait encore besoin d'autres proies, elle continua ses recherches. En tournant la tête sur sa droite, elle aperçu alors la silhouette d'un loup gris qui avançait visiblement dans sa direction. Surprise de ne pas l'avoir entendu, elle tenta pourtant de paraître de marbre et le salua lorsque finalement, il arriva à sa hauteur. " Bonjour "

Elle ignorait bien pourquoi, mais Silent Requiem était certaine d’avoir déjà croisé ce loup-là quelque part. C’était bien ce qui était étrange d’ailleurs, cette impression de le connaitre sans savoir expliquer pourquoi. Et elle eut beau cherché, rien ne le vint. Probablement l’avait-elle déjà aperçu au loin lors de l’une de ses rondes. Ou peut-être était-ce autre chose ?... Elle était incapable de savoir en quoi ce loup lui paraissait aussi familier. Elle resta pourtant impassible et fit mine que tout allait bien. Tout du moins si l’on faisait abstraction de l’horrible météo de ce début d’hiver. Toutefois, elle savait qu’elle faisait face là à un Swallow rien qu’à en sentir l’odeur et comme elle n’avait aucune animosité avec les loups de cette meute, elle se permit de se détendre un peu. Elle quitta alors des yeux le loup gris pour observer les vagues qui s’abattaient avec force sur la jetée. Au-dessus d’elle, elle pouvait deviner la présence de quelques mouettes qui n’attendaient que le moment propice pour se jeter à l’eau et profiter de quelques poissons un peu téméraires. Elle scruta ensuite son propre poisson en songeant qu’il ne nourrirait pas beaucoup de louveteaux une fois qu’elle serait rentrée. Toutefois, cela restait toujours mieux que de revenir sans rien. « Bon- temps (…) vraiment (…) plaie… ».

Elle plissa les yeux en se tournant de nouveau vers le loup gris. Quoi ? Il avait dit quelque chose, non ? Elle n’était pas certaine d’avoir tout compris, tant à cause des vagues et des mouettes qui faisaient à raffut sans nom qu’à cause de son infirmité qui la rendait beaucoup moins sensible aux sons que les autres. En penchant la tête sur le côté, Silent Requiem crut comprendre qu’il parlait de la météo. Ça semblait logique. La louve blanche hocha donc la tête pour approuver ce qu’il venait de dire sans grandes certitudes. Puis, comme elle voulait rester au demeurant polie, elle décida qu’il était tout à fait juste de sa part de se présenter à l’autre loup. Alors, en parlant plus fort pour couvrir le bruit des vagues, elle s’exécuta ; « Je suis Silent Requiem, l’Alpha des Eagle ! Et vous ? ». Peut-être qu’en lui répondant, le mâle parviendrait à l’aider à se souvenir où elle avait bien pu croiser sa route !..

Silent Requiem observa l’autre loup s’asseoir et lui offrir un sourire poli. Apparemment, ils étaient tous les deux sur la même longueur d’onde. Tant mieux ! Elle ne souhaitait absolument aucune animosité entre les deux meutes voisines et espérait que leurs bonnes relations dureraient encore longtemps. « Enchanté, je suis Sorren, Beta des Swallow. » L’alpha des Eagle inclina légèrement la tête en signe de respect alors que les mots du loup gris faisaient écho dans sa tête. Plus il parlait et plus elle avait l’impression de le connaître, a tel point qu’elle se demanda même pendant un instant s’ils n’avaient pas été intimes lors de son arrivée sur les terres de Raja’Ah. Seulement, c’était tout bonnement impossible car elle avait presque immédiatement rejoint les Eagle. De plus, elle n’avait jamais connu le Beta de la meute des Swallow, sinon elle aurait été certaine de se souvenir de son nom, ou ne serait-ce que de son odeur. « Comment ça se passe chez vous ? Vous arrivez à faire front par ce froid ? ».

Elle cligna des yeux à plusieurs reprise puis hocha doucement la tête. Silent Requiem ignorait s’il cherchait par là à faire preuve de bienveillance et de politesse ou s’il cherchait de cette façon à collecter de multiples informations à propos des Eagle. Dans tous les cas, et comme elle ne voulait pas lui donner la satisfaction de croire que les Swallow étaient bien supérieurs aux Eagle -puisque ce n’était absolument pas le cas- elle décida de répondre justement mais sans trop rentrer dans les détails ; « Pour le moment ça va. Nous étions préparés à l’arrivée de l’hiver. Mais il faut juste espérer qu’il ne fasse pas froid très longtemps. » Elle marqua un temps d’arrêt pour observer les alentours, ignorant les mouettes et le bruit des vagues. Puis elle reprit doucement ; « Et vous alors ? Ça va ? ». Pour sa part, elle ne cherchait pas à épier les Swallow, car elle ne les considérait pas comme des ennemis. Du moins, pas pour le moment.

Mais très vite, elle reporta son attention au loup gris. Plus elle le regardait et plus elle avait le sentiment très étrange d’avoir déjà croisé sa route sans savoir où. Elle plissa les yeux, en tentant de se concentrer. Puis finalement, sans trop y croire, elle cru deviner ou elle l’avait déjà vu. Dans un souvenir. Dans deux souvenirs en fait, pour être tout à fait précise. A cette idée, son sang ne fit qu’un tour et immédiatement, elle se redressa en grondant. Son poil se hérissa alors qu’elle toisait durement le regard de celui qui ne lui avait apporté que souffrance. Elle se remémora se souvenir dans lequel elle le défiait, dans l’espoir de pouvoir enfin avoir une place dans la meute. Dans ce qui aurait pu être sa meute. La louve blanche recula encore d’un pas alors qu’elle sentait une haine sourde monter en elle. En colère, elle était en colère. Hors d’elle en fin de compte. Furieuse, elle gronda de plus belle avant de reprendre la parole, assénant sa haine sur le loup gris ; « Comment un père comme toi peut-il avoir des responsabilités dans une meute aussi bienveillante que celle d’Horus ?! »

Il aurait pu lui répondre qu’il était un loup nouveau et bienveillant qu’elle ne l’aurait pas cru. Grondante et menaçante, elle le toisa avec colère, alors qu’il semblait peiné de son comportement. Vraiment ? Avait-il le culot d’oser être affecté ? Pourquoi jouait-il de la sorte la peine et la souffrance alors que c’était lui le bourreau qui lui avait fait tant de mal ? Elle grogna de plus belle face à son attitude alors qu’elle sentait la colère monter davantage en elle. Se connaissant, la louve blanche aux yeux verts su qu’elle atteindrait bientôt un point de non-retour avec le loup qui lui faisait face. Et s’il restait là à jouer les pauvres victimes innocentes, elle lui arracherait le visage de ses crocs, c’était une certitude. « Je… Si je suis devenu Beta au côté d’Horus c’est par mérite. Le passé que j’ai oublié n’entre pas en compte. Je n’ai qu’un vague idée de ce que j’étais par le passé, mais je crois que je le regrette déjà. » Elle rigola d’un rire sec et mauvais, moqueuse en entendant de tels propos. Lui ? Mériter quoi que ce soit ? Même la Mort n’avait pas envie de croiser son chemin et c’était probablement pour cela qu’elle lui laissait cette vieille carcasse dans laquelle il se trainait. « Je ne sais pas quoi te dire, à part que je regrette. J’ai découvert… Que tu étais ma fille voilà de ça trois jours… ». De nouveau Silent Requiem grogna. Ses mots lui faisaient mal car elle aurait voulu les entendre avant et qu’elle savait désormais qu’ils n’avaient plus rien de sincère. Elle se sentait abusé par son propre père, qu’elle ne parvenait pas à considérer comme un membre de sa famille. Famille qui était réduite à néant désormais. Dans un nouveau grognement, elle décida cependant d’évacuer une part de sa rancœur accumulée ; « Ce que je regrette, c’est d’avoir eu un père comme toi. »

Il restait là, muettement assis, comme penaud d’une telle situation. Et le cœur de Silent Requiem se brisa. Parce qu’elle n’était pas une mauvaise louve dans le fond et qu’elle aurait préféré que tout cela soit beaucoup plus simple. Mais désormais, à chaque fois qu’elle osait plonger ses yeux verts dans son regards, elle ne pouvait plus que ressentir cette immense vague de haine et de tristesse. Et si elle ne se souvenait pas de bien des détails, les émotions elles, étaient bien assez fortes pour lui faire comprendre que la rancœur qu’elle éprouvait à l’égard de celui qui lui avait donné la vie s’étendaient encore plus loin que l’horizon lui-même. La louve blanche aurait préféré des retrouvailles pleines d’amour et de douceur, elle aurait voulu des embrassades et des mots bienveillants. Plus que tout, elle aurait aimé qu’ensemble ils se remémorent les bons souvenirs qu’ils avaient partagés avant tout ça. Sauf que les rares moments où elle se souvenait de lui, c’était pour sentir ses crocs se planter dans sa chaire au moment ou elle eut enfin le courage de se rebeller contre lui. « Je ne te demande pas de m’aimer, ou de me pardonner. Mais de me laisser une chance. Une chance de comprendre, s’il te plait. »

Le poitrail toujours grondant, Silent Requiem l’écouta sans vraiment y croire. Il ne pouvait être sincère et il s’agissait là probablement d’une grande mascarade. Peut-être même qu’Horus, l’alpha Swallow, était au courant de tout ça. Mais elle ne remettrait jamais en question la douceur et la bienveillance du loup roux. L’autre voulait une chance de comprendre. « Sauf qu’il n’y a rien de plus à comprendre. » Si elle avait formulé tout haut ces pensées, elles n’en demeuraient pas moins plus que sérieuses. Sorren avait été odieux avec elle et sa mère. C’était tout ce qu’il y avait à comprendre. « J’aurais préféré ne pas me souvenir de toi. » Et comble de l’ironie, elle ne cherchait même plus à être agressive. Son cœur était empli d’une lourde peine, d’une cicatrice béante à l’âme qui ne guérirait probablement jamais.