Lorsque la louve grise ouvrit les yeux, au milieu de terres qu'elle ne connaissait pas, elle eut subitement peur. Incapable de se souvenir d'où elle était, et surtout de qui elle était, elle décida de prendre la fuite, de crainte que quelqu'un ou quelque chose ne vienne s'en prendre à elle durant ce moment de faiblesse. Elle peinait à rassembler ses esprits, son cœur battant à tout rompre. Incapable de dire si elle avait faim, si elle avait froid, elle erra sans but fixe pendant des heures avant de réaliser le plus évident ; elle ne se connaissait pas. Était-elle morte, subissant là l'amer goût d'un châtiment pour sa vie passée ? Ou peut-être se trouvait-elle au paradis, avec comme récompense le droit de démarrer une nouvelle vie ?
Après quelques jours finalement, elle se souvint qu'elle s’appelait Raja'ah. Mais rien d'autre ne lui revint jamais. Alors finalement, la louve décida d'abandonner l'idée de connaitre qui elle avait été pour se concentrer sur qui elle serait à partir de maintenant.

D'autres loups la rejoignirent peu à peu. Tous souffrant de cette même amnésie douloureuse. Alors elle décida de les aider, de les guider et de les accompagner, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus en âge de prendre soin d'eux. Puis, sans que personne ne comprenne pourquoi, elle s'en alla et on ne la revit plus jamais. En sa mémoire, les terres inconnues furent renommées Raja'ah. Les canidés se divisèrent ensuite en groupes, constituants là différentes meutes.

Aujourd'hui encore, les loups affluent sur les terres de Raja'ah sans se souvenir de qui ils sont et de qui ils ont été auparavant. Jeunes, moins jeunes, mâles, femelles, tous se réveillent subitement après un très long sommeil, au milieu de nulle part.

Qui saura percer les mystères derrière Raja'ah ?

« Ce matin-là, en ouvrant les yeux, la divinité comprit que quelque chose n’allait pas. Elle avait froid alors que la veille au soir, elle s’était endormie sous la chaleur étouffante des jours d’été. En regardant autour d’elle, Raja n’aperçut que le silence et la blancheur maculée de l’hiver sur les terres du Nord. C’était une vision du futur qui venait de l’envahir. Une vision apocalyptique et terrible dans laquelle les loups ne parvenaient pas à survivre à la saison froide qui se profilait peu à peu. Il fallait que la louve devenue déesse intervienne. Rapidement elle se redressa et hurla pour appeler sa fille qui se trouvait probablement non loin d’ici. Ensemble, elles devraient gravir les plus haut sommets des plus hautes montagnes pour parler aux dieux et les supplier de chasser le sombre hiver qui se profilait peu à peu. […] La louve ferma les yeux. Le vent qui soufflait dans la montagne était d’une violence sans pareil et elle craignait de devoir arrêter là sa longue ascension. Elle se tourna vers sa fille Eresy pour s’assurer que tout allait bien. La pauvre peinait à avancer tout autant que sa divine mère, et pourtant, toutes deux devaient arriver au sommet avant la neige ; cependant, il lui semblait désormais impossible d’y parvenir. Le temps ne serait pas clément cette hiver et les dieux n’arriveraient pas à sauver tout le monde. »

Si l’été a trainé en longueur, l’automne lui, n’est déjà quasiment plus présent. Les feuilles aux couleurs chatoyantes tendent à disparaitre pour être remplacées par un sol gelé et un blanc spectral. Le froid est présent, l’hiver approche et les loups attendent sans trop y croire les premières neiges qui ne tarderont pas. Mais ces brusques changements de températures ne sont pas sans conséquences. Un peu partout sur les terres de Raja’Ah, on trouve les corps sans vies de femelles mettant bas, de vieux animaux malades et de nouveau-nés figés par le froid. Et s’ils représentent pour le moment une nourriture facile à obtenir, ils n’annoncent en rien un avenir illustre pour les loups.