Douce journée. Le soleil avait à peine commencé son ascension que la meute Eagle s’était éveillée rapidement. Silent Requiem avait donné des instructions simples et pourtant très précises. Les loups devaient s’activer à aller pêcher dès l’aube afin de récupérer le plus de poisson frais possible. Tous étaient de mise sur cette activité sauf quelques rares équipes de patrouilles et de gardes qui devraient assurer la sécurité des terres de la meute pendant ce temps. L’alpha elle-même avait décidé de participer à cette activité lorsque subitement, une sentinelle vint lui annoncer qu’un solitaire avait encore tenté de pénétrer leurs terres. Inquiète et agacée à la fois, la louve blanche aux yeux verts s’étaient donc précipitée jusqu’à la frontière pour découvrir avec stupeur que quelques loups sans meutes étaient passés par ici dans le but de se nourrir. Elle avait longuement hésité à l’idée de partir à la poursuite de ces loups un peu trop arrogants et confiants, puis finalement, elle était partie en ordonnant aux siens de continuer leur pèche jusqu’à son retour. Elle reprendrait ensuite les activités. Mais pour l’heure, l’alpha devait sévir. D’autant plus qu’elle était quasiment persuadée que les loups solitaires avaient bien assez de proies chez eux pour ne pas avoir besoin de se servir ailleurs.

Elle avait donc longuement parcouru les terres neutres à la recherche des loups qui avaient tenté de passer outre les lois de la meute Eagle. Cependant, très rapidement, Silent Requiem dû admettre le plus évident ; ils avaient subitement disparu dans la nature et elle se retrouvait seule au beau milieu de la pampa. Agacée, elle grogna de frustration avant de se reprendre ; une alpha n’avait pas à agir de la sorte et à ses laisser dominer par ses émotions. Alors, le pas lent et l’allure plus légère, elle décida de rentrer pour retrouver les siens. Avec un peu de chance, elle serait de retour sur les terres Eagle avant midi.

Pourtant, au détour d’une crevasse, elle tomba nez à nez avec une louve noire. Elle ne l’avait pas entendue, à cause de son infirmité et ne l’avait pas sentie à cause du sens du vent. Surprise, elle ne montra pourtant pas les crocs contrairement à l’autre et se contenta de la toiser du regard de façon méthodique. Noir, les yeux vairons, elle sentait l’odeur caractéristique des Swallow et devait donc faire partie de la meute d’Horus. Comme elle n’avait rien contre ces loups-là, elle se contenta d’observer la femelle encore un instant avant de prendre la parole. « Bonjour. Navrée pour la surprise, elle n’était pas voulue. » Elle tenta faiblement de sourire. Cependant, si elle agissait avec douceur, elle n’en restait pas moins un peu méfiante. Elle ne connaissait pas l’autre louve après tout.

Silence pesant. Croiser les loups d’une autre meute avait toujours parut un peu particulier aux yeux de Silent Requiem qui préférait de loin passer du temps avec les siens. Elle n’était pourtant pas sectaire le moins du monde et pouvait admettre avec bienveillance qu’elle avait parfois fait d’agréables rencontres. Mais elle avait bien malheureusement dû faire tout autant de mauvaises rencontres qui l’amenaient désormais à être un peu plus sur la défensive. « Ce n’est pas grave… Ça arrive. » Etrange compassion qui étonna légèrement la louve blanche. Elle hocha doucement la tête mais ne trouva rien d’autre à ajouter. Elle s’était excusée, il était donc temps de passer à autre chose. « Il fait beau aujourd’hui… » Tentative de conversation toute aussi étrange que la réplique précédente. Silent Requiem n’avait jamais trop eu l’occasion de croiser la route des Swallow, mais elle ignorait qu’ils étaient aussi… Différents ? Elle ne voulait pas prendre le risque d’instituer un clivage entre eux en affirmant de tels propos, mais la femelle qui lui faisait face semblait venir d’une autre planète. « En effet, il vaut mieux en profiter, le temps sera bientôt plus incertain. » Elle s’ébroua légèrement et tenta de sourire du mieux qu’elle le put, mais il n’était pas très évident pour elle de répondre à ce genre de tentative. Peut-être devait-elle venir en aide à la louve aux yeux vairons ? Probablement oui. Elle se racla donc la gorge et songea à ce qu’elle pourrait dire pour lancer une conversation plus saine.

« Je me nomme Silent Requiem. Je suis alpha des Eagle. » Elle inclina doucement la tête en guise de salutation et laissa l’autre prendre ce début de conversation comme une occasion sympathique pour répondre. Car la louve blanche ne voulait pas paraitre vantarde en donnant ainsi son rang à la femelle aux yeux vairons ; elle espérait simplement lui donner là une occasion de rebondir et de savoir quoi dire. Une sorte d’aide pour l’aider à se libérer d’une situation quelque peu délicate dans laquelle elle s’était empêtrée bien malgré elle. En attendant, elle décida de s’asseoir non loin de l’autre, de sorte à lui prouver qu’elle n’avait pas la moindre intention négative.

Elle était plus noire encore que la nuit et Silent Requiem fut bien forcée de reconnaître qu’elle n’avait jamais véritablement croisé de loup ou de louve avec un pelage aussi noir. Elle avait bien l’apparence d’Aslan en tête mais il lui semblait évident qu’il n’était pas aussi noir. Ou alors peut-être n’était-ce là qu’une illusion d’optique. Toutefois, elle prit le temps de l’observer pendant un moment, mi-songeuse, mi-admirative. Le plus impressionnant résidait dans les yeux vairons que possédait la louve noir. Si l’un était d’un vert aussi profond et doux que ses propres yeux, l’autre était d’un bleu déroutant. Voilà quelque chose qui rendait la louve noire plus que particulière aux yeux de l’alpha Eagle. « Je suis Eclipse, Sigma Swallow. » Silent Requiem sourit légèrement à cette présentation. Une guerrière de la meute d’Horus, comme elle l’avait légèrement envisagé et deviné quelques temps plus tôt.

Elle n’ajouta rien pendant un moment, observant les alentours avec douceur. La louve blanche aux yeux verts n’était pas très bavarde en temps ordinaires et l’était encore bien moins en présence de quelqu’un qui ne faisait pas partie de sa meute.

L’instant d’après, une lumière blanche et la silhouette qu’elle connaissait bien à présent de Raja’Ah se présenta devant ses yeux. S’offrit alors à elle un souvenir ancien d’une enfance à peine créée. Elle se sentait à peine née, contre le ventre d’une mère au rang plus qu’inférieur. Elle sentait aussi dans son sang quelque chose de plus noble, comme si elle était la fille d’un alpha. Et c’est alors qu’elle réalisa que l’alpha qu’elle avait défié dans sa vie passée devait probablement être son propre père. Elle cru déceler une haine entre elle et lui, mais avant d’avoir pu confirmer cette idée, la lumière doucereuse avait disparu pour laisser place à la réalité. Eclipse se trouvait à nouveau devant ses yeux verts. Alors l’alpha eagle reprit contenance et se racla la gorge avant de prendre la parole ; « Toutes mes excuses pour mon manque de politesse, j’étais plongée dans un souvenir légèrement perturbant. » Pour toute excuse, elle sourit doucement, à nouveau, un peu penaude.

La louve noire au yeux vairons semblait réellement affectée par ce qu’elle venait de voir et Silent Requiem devina que la vision du souvenir qu’elle-même avait eu avait probablement impacté la femelle Swallow. Depuis le temps, elle savait que les souvenirs n’étaient pas communs et que chacun retrouvait une bride de son passé. Alors, elle songea au souvenir d’Eclipse pour éviter de penser au sien. « Ce n’est rien… » Peut-être que ce n’était rien en effet, pourtant, en la voyant se détourner de la sorte, l’alpha de la meute Eagle devina que quelque chose n’allait pas. Et si la noiraude n’était pas de sa meute, Silent Requiem, qui n’avait rien contre les Swallow, ne put s’empêcher d’avoir un pincement au cœur en la voyant réagir ainsi. Elle ignorait comment agir, ni même s’il fallait être bienveillant ou au contraire un peu abrupte. Peut-être ne devait-elle pas se mêler de tout cela après tout ?

« Les souvenirs qui nous reviennent sont à la fois des malédictions et des bénédictions. » Ses mots n’étaient peut-être pas les plus justes ou les plus doux, mais elle espérait toutefois qu’ils trouveraient une place juste dans le cœur de l’autre louve et qu’ils sauraient lui être agréables pendant un instant. Puis, finalement, comme le silence s’installait à nouveau et que Silent Requiem ne voulait pas imposer sa présence outre mesure, elle se racla la gorge avant de reprendre ; « Souhaitez-vous que je vous laisse seule ? » C’était là la moindre des politesses après tout…